Cela semble de prime abord si évident : on ne perçoit pas le même monde selon que l’on la vision de l’aigle, que l’on perçoit les ultrasons comme la chauve-souris, que l’on voit les couleurs ultraviolettes comme beaucoup d’insectes ou que l’on dispose d’un odorat performant comme le Chat.

Et pourtant …

La hiérarchisation du vivant a la peau dure et l’Homme a encore souvent la fâcheuse tendance à considérer, lorsque le sens d’un comportement du Chat (ou de toute autre espèce animale) lui échappe, qu’il en est totalement dépourvu !

Or, chaque espèce possède son propre « monde sensoriel » et chaque monde sensoriel possède ses significations propres. C’est pourquoi chercher à imposer celles de notre monde d’humains à notre Chat, dont le monde sensoriel est fort différent, peut conduire à des incompréhensions majeures, des troubles de la relation, voire une maltraitance involontaire ou invisible.

Cette semaine, l’ABCdaire du PaChat vous ouvre donc les portes de l’Umwelt, ce monde propre à chaque espèce animale car lié à son système perceptif, vous explique pourquoi il existe autant de comportements pertinents que de rapports au monde et comment chaque comportement du Chat prend finalement tout son sens dans son propre Umwelt …

L’UMWELT, ce « monde propre » à chaque espèce animale

L’Umwelt ou le « monde vécu »

L’Umwelt est un concept développé dans la première moitié du 20^ème siècle par le baron Jacob von Uexküll (1864 – 1944), biologiste allemand qui défend l’idée que chaque espèce animale dispose de son propre monde sensoriel et que son rapport au monde résulte des sens dont il dispose pour le percevoir et des interprétations qu’il peut en faire selon ses propres besoins.

La théorie de von Uexküll explique que des êtres vivants, bien que partageant le même environnement peuvent néanmoins avoir l’expérience de différents « mondes propres ».

Ainsi, les abeilles n’ont pas la même perception des couleurs que nous, nous ne percevons pas les parfums que captent les papillons pas plus que nous ne sommes sensibles, comme peut l’être la tique, à l’odeur de l’acide butyrique dégagée par les follicules sébacés du mammifère qu’elle attend, perchée sur une tige ou une branche…

Ainsi, chaque espèce vit dans un environnement unique, le sien, qui est ce qui « lui apparaît » via ses récepteurs sensoriels et la conduit à agir pour satisfaire ses besoins.

De l’animal-machine à l’animal-sujet

L’être humain ne fait pas exception à cette perception du monde déterminée par les sens, nous avons, comme tous les autres êtres vivants, notre propre rapport au monde et nous en construisons nos propres significations.

C’est pourquoi juger les comportements animaux par rapport à notre propre Umwelt est totalement inadapté, car les comportements que nous jugeons pertinents dans notre monde ne sont pas forcément pertinents dans le leur.

La notion d’Umwelt met fin à la vision selon laquelle il existerait une rupture ontologique, c’est-à-dire une différence de nature, entre l’humain et l’animal, ainsi qu’à celle selon laquelle l’homme serait de la même essence que les animaux mais dans une plus grande mesure, bref qu’il serait donc la finalité de la création ou l’aboutissement du vivant.

Car la force de l’approche de von Uexküll est de dépasser le débat de la hiérarchisation du vivant et de ne plus chercher à comprendre ce que l’homme aurait de plus que l’animal mais bien dans quel monde sensoriel il vit lui-même et en quoi il est différent du reste du vivant, sans lui être supérieur pour autant.

Von Uexküll invite donc à changer de paradigme et à oublier l’animal machine, passif au monde, régi par une force extérieure à lui-même, dépourvu de la capacité de faire des choix et de prendre des décisions, et qui n’obéit qu’à un déterminisme naturel pour aller vers l’animal sujet, qui perçoit et qui agit avec intentionnalité.

L’Umwelt, un monde « entier » pour tous

Chaque objet du monde perceptible par les sens revêt pour l’animal une signification spécifique et prend une valeur particulière selon l’importance qu’il lui accorde.

Ce n’est plus l’objet en lui-même qui a une valeur mais bien à chaque être vivant de déterminer quelle valeur il va attribuer à chaque objet dont il va faire l’expérience. La notion de valeur, jusqu’alors intrinsèque et relative, devient avec von Uexküll, relative et subjective et il n’y a donc pas de monde moins complet ou moins achevé qu’un autre.

Von Uexküll apparait ainsi comme le précurseur de la compréhension du vivant en démontrant que le comportement des animaux est bien plus cohérent que ce que pensaient ses prédécesseurs jusqu’alors et il invite au respect des animaux car si leurs mondes nous restent inaccessibles, ils n’en sont pas pour autant vides de sens et donc d’intérêt.

Ses travaux ont posé les bases de l’éthologie cognitive, qui considère l’animal comme ayant des représentations construites qui font appel à la mémoire et aux émotions et qui envisage l’animal comme sujet pensant et présentant une conscience, même s’il ne s’agit pas nécessairement de la conscience de soi.

L’Umwelt du Chat

C’est dans son monde que nous pouvons accédons à la connaissance du Chat et il est donc essentiel de connaître les sens dont il est pourvu pour comprendre les significations qu’il pourra construire à partir d’eux.

Car le Chat, ce prédateur silencieux et agile, vit dans un monde sensoriel très différent du nôtre : il voit, entend, sent, percoit … dans d’autres gammes que les nôtres et son expérience du monde est donc toute autre, même lorsque nous partageons le même espace.

Les sens du Chat

L’ouïe

L’audition est un sens extrêmement développé chez le Chat. Largement supérieure à celle de l’Homme, elle lui permet d’entendre des bruits infiniment faibles, comme le trottinement d’une souris à plusieurs mètres de lui ainsi que des fréquences situées entre 50 Hz et plus de 60 000 Hz, soit des infra-sons, graves, aux ultra-sons, très aigus et imperceptibles pour l’Homme qui ne peut percevoir des fréquences au-delà de 20 000 Hz environ.

Chez le Chat, plus d’une vingtaine de muscles orientent les oreilles, indépendantes l’une de l’autre, jusqu’à 180°, ce qui lui permet d’être à l’écoute de son environnement en percevant un maximum de sources sonores différentes autour de lui tout en faisant totalement autre chose, de capter et d’isoler une source sonore avec une précision maximum et de contrôler cette dernière sans bouger le reste de son corps et perdre sa vigilance.

Son oreille interne, au-delà d’être le siège de son légendaire équilibre, fonctionne par ailleurs comme un filtre et chaque sonorité est analysée, tant au niveau de sa nature qu’en termes de distance.

Le sens de l’ouïe est si fin chez le Chat qu’il est tout à fait capable d’isoler un son très discret parmi une multitude d’autres bruits et de l’identifier sans aucune confusion.

L’odorat & le goût

Lorsque que l’Homme voit son environnement, le Chat, lui, le hume.

Car, avec une muqueuse olfactive dont la taille fait plus du double de celle de l’Homme, de 20 à 25 cm2, et 200 millions de terminaux sensoriels, contre 5 seulement pour nous, le Chat habite le monde des senteurs, des odeurs, des parfums.

Le Chat utilise ainsi en permanence son odorat pour flairer la nourriture, repérer ses amis, ou ennemis, retrouver son territoire préalablement marqué … et il peut également repérer et analyser une molécule particulière dans un ensemble d’odeurs grâce, notamment à son organe de Jacobson.

Ce dernier permet au Chat de développer en quelque sorte un 6^ème sens, situé à mi-chemin entre l’odorat et le goût, d’où l’expression « goûter les odeurs » souvent utilisée lorsque le Chat fait le flehmen.

Cette capacité vient compenser pour partie le sens du goût que le Chat a par contre relativement peu développé, avec presque 5 fois moins de bourgeons gustatifs que l’Homme mais qui, disposés sur le bout de sa langue, lui permettent d’identifier les saveurs salée, sucrée, amère et acide avant même d’avaler quoique ce soit.

Le toucher

Si les coussinets du Chat possèdent des récepteurs sensibles au contact, capables de capter les minimes vibrations du sol, les moustaches du Chat, appelées vibrisses, sont également de véritables radars.

Ces dernières, propres aux mammifères et très développées chez les espèces nocturnes, se concentrent autour du museau, sous le menton, au-dessus des yeux ainsi que sur les pattes et lui permettent une exploration détaillée de son environnement, en captant les variations de température et de pression atmosphérique, les vibrations, les mouvements de l’air et en détectant les obstacles au contact.

Reliées à un important réseau de nerfs, ultra-sensibles, elles complètent donc le système sensoriel (vue, ouïe, odorat…) déjà ultra-sophistiqué du Chat.

La vue

La principale particularité du Chat est d’être nyctalope, c’est-à-dire qu’il est capable de voir même par très faible intensité lumineuse grâce à son nombre de bâtonnets bien supérieur à celui de l’Homme, au tapetum lucidum, cette membrane réfléchissante située derrière la rétine, qui renvoie comme un miroir la lumière et est à l’origine du reflet lumineux observé dans les yeux du Chat la nuit et à ses pupilles capables de s’adapter à l’intensité de la luminosité.

Par contre, le Chat souffre d’une certaine myopie puisqu’il ne voit de façon nette que des objets proches de lui, qu’il détecte grâce à ses moustaches, et qu’il ne voit pas toutes les couleurs, comme le rouge qui lui est totalement inconnu.

La vue du Chat, parfaitement adaptée à la chasse grâce à un large champ de vision d’environ 260° qui lui permet de percevoir le moindre mouvement, est donc très différente de la nôtre !

Le pouvoir de l’instant présent

Le monde propre du Chat est constitué par l’ensemble de ses perceptions sensorielles et ce dernier s’organise donc autour de ce qui lui apparaît à un moment de son temps et en un lieu de son espace.

Car le Chat vit ici et maintenant, dans l’instant présent et chacun de ses comportements a une véritable raison d’être.

Le Chat est donc incapable de préméditer, de se venger, de vouloir avoir le dernier mot… toute interprétation de la sorte de ses comportements n’est qu’anthropomorphisme de notre part !

Le Chat cherche en permanence à conserver l’intégrité de son équilibre interne tant physique qu’émotionnel (c’est ce que l’on appelle l’homéostasie) et il ne dépense de l’énergie que pour ce qui lui rapporte quelque chose de positif.

Tout comportement qui nous apparait dérangeant, selon notre propre umwelt, n’est donc que l’expression d’une émotion que le Chat ressent lors d’une situation vécue avec un objet, un animal, une odeur, un individu…

Il nous appartient donc désormais d’observer ces dernières en nous positionnant du point de vue du Chat pour chercher à en comprendre la cause et à y remédier au besoin avec discernement et bienveillance.

Comment respecter l’Umwelt du Chat ?

L’observation et l’analyse des comportements du Chat eux-mêmes permettent de partir à la découverte du monde si mystérieux et fascinant du Chat, et d’en découvrir les multiples significations associées.

Pour respecter au mieux ce dernier, il ne faut jamais perdre de vue qu’en chaque Chat sommeille un grand chasseur, prêt à se réveiller à la moindre occasion et qu’aussi domestiqué qu’il puisse nous paraître, pantouflard, indolent, oisif, nonchalant, nourri aux croquettes et choyé à l’extrême, le Chat reste un Chat, cet animal pour qui le territoire est essentiel, et qu’il doit donc pouvoir baliser via divers moyens de communication, principalement olfactifs, comme les griffades, les phéromones faciales, ou les marquages urinaires et dont les divers champs territoriaux doivent impérativement être respectés.

Ainsi, un Chat équilibré et heureux est un Chat que l’on autorise tout simplement à vivre pleinement sa vie de Chat, sans restriction ni interdit.

Le Chat doit pouvoir habiter le monde à sa manière, ce qui signifie pouvoir :

· observer son environnement, notamment depuis des perchoirs positionnés en hauteur

· jouer à n’importe quelle heure du jour et de la nuit grâce à la mise à disposition de jouets divers et variés et reproduire ainsi les postures de chasse propres à son espèce

· marquer son territoire, gage de sa stabilité émotionnelle, et ne pas se retrouver confronter régulièrement au nettoyage intempestif de ses dernier ni à la réorganisation fréquente de ses champs d’activité

· se cacher pour se toiletter et dormir en toute sécurité, sans risquer un dérangement intempestif par le chien de la maison ou un enfant en bas âge

· communiquer avec ses congénères et avec l’Homme, via ses marquages, ses postures, et ses contacts

· manger une nourriture accessible en libre service, pour répondre à son comportement de grignoteur, et adaptée à son régime alimentaire de carnivore strict

Par ailleurs, et même si l’Homme est attaché à la communication verbale, cette dernière ne parle absolument pas au Chat, même si ceux qui vivent parmi des Hommes vocalisent souvent plus que les autres.

Le Chat est avant tout dans le para verbal et le non verbal alors plutôt que de vouloir lui apprendre nos mots, mieux vaut nous focaliser sur les tonalités de nos phrases et sur notre gestuelle et faire l’effort de décrypter son propre langage : regards mi-clos, pupilles dilatées, position des oreilles, de la queue et des vibrisses, pilo-érection, postures du corps …

Le Chat a besoin qu’on le comprenne et qu’on l’accompagne dans le cadre et dans le rythme de vie que nous lui imposons au quotidien, ce quotidien où l’alimentation a été dissociée de la prédation, donc parfois insuffisamment pourvu en sources de stimulations ainsi qu’en relations sociales avec ses congénères et de plus en plus fréquemment dépourvu d’accès à l’extérieur.

En respectant ses besoins et ses instincts naturels, bref en l’acceptant tel qu’il est, il exprimera peu de comportements indésirables et lui comme nous y gagnerons une relation saine et sereine.

Et si le besoin de lui apprendre certaines limites se fait sentir, à nous de les lui enseigner de façon claire et positive. Notre Chat ne peut que nous surprendre par ses capacités autant individuelles qu’exceptionnelles !

CHATleureusement vôtre !

Hélène