Chaque espèce organise d’une façon qui lui est propre l’espace dans lequel elle évolue.
Cette gestion de l’espace dépend bien entendu de l’équipement sensoriel de l’espèce, qui conditionne la perception qu’elle a du monde (on parle de monde propre, ou d’Umwelt) mais également de son organisation sociale (solitaire ou grégaire), c’est à dire des relations qui s’établissent entre les individus.
Car les besoins « primaires » notamment, tels que la recherche d’eau, de nourriture, de sécurité, la reproduction, …, impliquent en effet l’adoption de comportements qui nécessitent des relations parfois étroites avec d’autres individus, de la même espèce ou d’une espèce différente.
Ces relations entre individus, dans la plupart des sociétés animales, sont innées, répondent à des règles précises, et ne sont pas uniquement liées au territoire mais également à l’instinct de survie ou de reproduction, à la transmission des apprentissages ou encore à une nécessité de coopération.
C’est E. T. Hall qui a, le premier, désigné cette «étude de l’utilisation de l’espace par les êtres animés dans leurs relations, et des significations qui s’en dégagent » par le terme de proxémie.
Chez le Chat domestique, historiquement qualifié d’espèce solitaire de part son comportement de chasseur autonome et sans hiérarchie sociale, le respect ou la transgression de ces distances inter-individuelles peut influer grandement sur son comportement.
Il est donc essentiel de les connaître, de les comprendre et de les respecter pour développer une relation saine, sécure et pleinement complice avec son Chat.
Les 4 distances inter-individuelles chez l’Homme
En sa qualité d’anthropologue, E. T. Hall, a logiquement étudié le comportement général de l’espèce humaine et son organisation territoriale, ce qui lui a permis de mettre en évidence l’existence de différentes distances socialement acceptables pour chaque individu.
Ces dernières ne se mesurent pas exclusivement en termes métriques et correspondent surtout à un seuil de tolérance sensoriel car la vue, le toucher, l’ouïe, l’olfaction contribuent totalement à leur délimitation.
Chez l’Homme, E. T. Hall définit ainsi les 4 distances suivantes :
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la distance intime : zone dans laquelle un contact physique, amical ou non, est possible (50 cm)
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la distance personnelle : zone qui permet de s’isoler des autres, symbolisée par la notion de « bulle protectrice » (environ 1,25 m)
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la distance sociale : zone dans laquelle ont lieu les échanges sociaux (environ 3 m)
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la distance publique : zone à partir de laquelle un individu peut n’être soumis à aucune sollicitation extérieure et ne pas se sentir directement concerné
Ces distances peuvent évoluer en permanence, car elles sont intimement liées à l’état émotionnel et à la culture de chacun et intègrent les notions de territoire, de seuil critique et de stress.
Les distances inter-individuelles chez les animaux
Par analogie, cette notion de distance inter-individuelle a rapidement été également appliquée aux espèces animales et ainsi, en allant de l’espace le plus proche au plus lointain, la proxémique permet de distinguer chez l’animal non humain les 4 distances suivantes :
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la distance critique : limite en deçà de laquelle un animal met en place des stratégies ultimes de défense (agression, immobilisme) pour pouvoir survivre
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la distance de fuite ou de sécurité : limite en deçà de laquelle un animal s’échappe lorsqu’un individu d’une autre espèce ou un congénère peu amical s’approche de lui
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la distance personnelle ou inter-individuelle : entre membres d’une même espèce, distance normale au delà de laquelle les individus se côtoient sans changement d’attitude (il convient de distinguer les animaux de distance tels que le chien, le chat ou le cheval, qui exigent une certaine distance sans contact des animaux de contacts tels que le morse, le porc, l’hippopotame, qui éprouvent la nécessité d’un contact étroit, supprimant de fait la distance personnelle ou inter-individuelle)
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la distance sociale : distance nécessaire pour que le groupe social s’établisse et se maintienne, au-delà de cette dernière, l’individu perd le contact avec son groupe
Ce sont les deux premières distances, critique et de fuite, qui permettent de comprendre les comportements agonistiques, c’est à dire qui visent à diminuer les tensions dans un groupe social (postures de menace, de soumission ou de fuite) et les agressions, lorsque la rencontre entre deux individus s’annonce hostile.
La distance critique
L’animal dont la distance critique est ainsi transgressée éprouve de la peur et présente des réactions physiologiques qui peuvent être nombreuses et de forte intensité : augmentation du rythme respiratoire et/ou cardiaque, salivation, transpiration, tremblements, mictions et défécations émotionnelles.
Pour se défendre, l’animal a alors recours à deux stratégies ultimes :
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l’agression violente et incontrôlée
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l’immobilisation (freeze), par sidération émotionnelle, pour ne pas être vu (stratégie de camouflage) ou pour simuler la mort et échapper au prédateur (car l’une des motivations de la prédation chez les animaux est liée au fait que la proie soit en mouvement)
La distance de fuite ou de sécurité
Pour diminuer sa tension émotionnelle et maintenir l’intrus en delà de cette distance, l’animal met en place des stratégies adaptatives qui sont :
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la fuite
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une posture d’apaisement ou de soumission (comme chez le chien par exemple)
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l‘immobilisation, plus rare cependant
Cette distance varie selon la taille de l’animal et des circonstances particulières à chaque rencontre, qu’elle soit inter ou intra-spécifique.
Malgré la présence constante de ces distances dans les relations que les animaux entretiennent avec leurs congénères, les autres espèces et leurs prédateurs, les distances critique et de sécurité ne sont pas figées et de nombreux facteurs entrent en jeu dans leur délimitation. Elles varient ainsi selon les espèces, les lieux, les heures de la journée ou de la nuit, les types d’activités (chasse, repos, jeu…), et peuvent donc :
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se contracter, lors d’interactions de coopération, de comportements sexuels ou même de danger (l’union fait la force !) ;
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s’étendre, si les ressources sont insuffisantes ou lors d’interactions non amicales
Les distances inter-individuelles chez le Chat
La domestication a modifié les comportements du Chat spécifiques à la vie en milieu naturel, en lui offrant un toit, de la nourriture à volonté, une protection sanitaire et l’absence de prédateurs, mais également en lui imposant des contraintes, comme une vie dans un espace souvent restreint, un accès parfois limité à l’extérieur et une cohabitation non choisie avec d’autres chats et/ou d’autres animaux de compagnie.
En vivant ensemble et en partageant le même habitat, les distances inter-individuelles s’estompent et cette proximité quotidienne amène souvent l’homme à « humaniser » son Chat en lui prêtant des attitudes et des sentiments typiquement humains mais également en abolissant les frontières inter-spécifiques et en le considérant trop souvent comme un congénère, oubliant par là même ses propres spécificités.
De fait, de telles attitudes conduisent parfois (souvent ?) à l’émergence d’un mal-être chez le Chat qui peut très mal vivre le non respect de ses besoins de distanciation relationnelle, sans même parler de l’impossibilité d’exprimer certains de ses instincts naturels (isolement, griffades territoriales, communication par frottements) …
Car la gestion des distances inter-individuelles vise à maintenir ou rétablir l’équilibre émotionnel chez tout individu et est donc nécessaire au maintien de ses conditions de vie optimales.
Les distances inter-individuelles dans la relation Homme / Chat
Le Chat est magnétique, tout à la fois attendrissant et attirant, et bien peu d’entre nous résistent à l’envie de papouiller dès que nous en apercevons un.
Or, se précipiter vers un Chat qui ne nous connaît pas pour le caresser s’apparente pour ce dernier à un comportement de confrontation. Rien ne lui déplaît plus que d’être caressé brusquement, attrapé et serré dans des bras inconnus, ou de recevoir un bisou sur le nez !
Mettez-vous quelques instants à sa place ! Apprécierez-vous qu’un parfait inconnu se rue vers vous sans aucune sommation pour caresser vos cheveux qu’il trouve magnifiques ou vous presse contre son torse pour la seule raison que vous lui rappelez quelqu’un de cher ?
Comme nous, le Chat accorde une grande importance à son espace personnel et ce dernier est aussi à géométrie variable selon le niveau de familiarité que nous avons avec lui.
L’odorat étant le sens le plus développé chez le Chat, il est essentiel d’y recourir pour entrer en communication avec lui. Lors d’une première rencontre, il est indispensable de s’approcher du Chat avec douceur, en se mettant à sa hauteur, sans gestes brusques ni aucune velléité de le caresser avant de s’être fait renifler en bonne et due forme, et de lui laisser le choix d’entrer en relation avec nous en acceptant une caresse ou de refuser tout contact plus avancé.
Tout autre comportement d’approche sera vécu comme intrusif et assimilé à une menace. Dans le meilleur des cas, le Chat, s’il en a la possibilité, s’esquivera alors prestement (comportement de fuite) mais s’il se sent acculé, il n’hésitera pas à vous attaquer (comportement d’agression) pour vous éloigner et rétablir une distance inter-individuelle suffisante lui permettant de faire retomber son anxiété et donc de retrouver son équilibre émotionnel.
Les distances inter-individuelles dans une relation Chat / Chat
Même s’il est un animal doué de socialité, le Chat ne ressent pas naturellement le besoin d’être entouré d’une structure sociale et donc de partager son intimité avec un (ou des) autre Chat.
Mais une nouvelle fois, la domestication est passée par là et au fil des générations (et donc de la sélection), l’aptitude du Chat à vivre en groupe et à tolérer ses congénères s’est nettement renforcée, notamment lorsque les ressources alimentaires sont suffisantes.
Le Chat continue toutefois de baliser son territoire grâce à tout un ensemble de marques olfactives (griffades, frottements faciaux, urine et fèces) dont la fonction est avant tout informative pour lui-même (marquer les lieux déjà fréquentés ou les passages déjà empruntés) mais aussi pour les autres (prévenir de son passage et de sa présence pour éviter le contact et un conflit potentiel).
Car s’il tolère ses congénères, le Chat n’en reste pas moins un animal très attaché à l’organisation de son territoire et au respect de ses différents secteurs d’activité (repos, chasse, élimination) et une bonne cohabitation doit impérativement être synonyme de respect de l’espace de chacun.
Par ailleurs, pour permettre le bon respect des distances inter-individuelles de chacun, mieux vaut toujours laisser une possibilité de repli (en laissant par exemple les portes ouvertes), y compris vers des lieux en hauteur, à chacun des Chats en cas de confrontation / concurrence / compétition.
Car mieux vaut que vos Chats, grâce à ces échappatoires possibles, se limitent à se tenir à distance en crachant, feulant, se hérissant éventuellement à chaque fois qu’ils se rencontrent, voire même qu’ils se courent après mais sans s’occasionner de blessures plutôt qu’ils en arrivent à s’agresser violemment en raison d’une trop grande promiscuité imposée qu’ils auraient du mal à supporter.
Car si le Chat a, au fil des âges, apporté la preuve de sa grande plasticité comportementale, en renforçant sa capacité à tolérer ses congénères, il n’en reste pas moins un animal pétrit d’habitudes que le moindre changement, comme une rencontre trop frontale avec un inconnu (homme ou animal), risque de perturber et d’angoisser.
Les distances inter-individuelles étant intimement dépendantes de chacun, de son tempérament, son développement précoce et ses expériences passées, il vous appartient d’observer et d’appréhender au mieux celles de votre Chat pour les respecter tout autant que les faire respecter par votre entourage pour le bien-être de votre Chat et, ainsi, pouvoir développer avec lui une profonde relation de confiance.
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